
La Longue nuit
Il est difficile de mettre des mots sur la dépression, elle est vraiment propre à chacun. Tout le monde apprend à la connaître, notre meilleur ennemi. Lorsque tu atteins cet état, quoi qu’il arrive, tu as perdu toute ta boîte à outils, toute ta force, toutes tes convictions, toutes tes croyances. Rien n’est plus si clair, tout se tache de noirceur. Ta vision, pourtant claire, compte des taches invisibles comme un voile noir et suffocant qui t’englobe l’esprit au fur et à mesure des secondes, minutes et heures passées dans ce monde. Je me retrouve à me sentir immonde. Le courage devient lâcheté, la joie devient muette, et ma voix entre ainsi dans ce mutisme, parfaitement imbriquée. Cela ressemble à un ensemble harmonieux.
On pourrait même s’y complaire, devenir socialement fantomatique, se renfermer et faire de son avenir une certitude de tristesse en chaîne.
Je ne me sens pas chez moi, je ne parle pas de mon domicile mais bien de ma tête. Je ne me reconnais plus en moi, j’ai l’impression d’être un imposteur, de vivre la mauvaise vie. Mes choix m’ont mené sur des routes compliquées et aujourd’hui, mon incapacité à réagir de façon sensée, pour moi et non pour les autres, me fait perdre la tête.
Pendant tant d’années, personne ne me comprenait, mais je ne leur en veux pas, car la vérité est que moi-même, je ne me comprenais pas. Comment se connaître et se comprendre quand tu es toi-même enfermé dans l’incompréhension la plus totale ?
Obligé de réapprendre à se connaître, pendant mes 34 printemps, j’étais avec un inconnu dans ma tête. La meilleure thérapie, et la plus douloureuse, est d’affronter cet inconnu, celui que l’on pensait être.

Mais c’est horrible, j’ai vécu des choses difficiles dans cette vie, mais le plus dur reste à venir. Moi qui pensais avoir solutionné mes différents problèmes depuis l’enfance, je les ai simplement déplacés dans un coin oublié de ma tête, dans cette cave sombre cachant elle-même une pièce encore plus sombre.
Vous savez, on a tous nos propres démons. Pas besoin d’histoires, de films ou de tout autre média pouvant te faire ressentir la peur et l’horreur, car le véritable monstre est là…
Caché dans cette pièce sombre au fond de cette cave, je suis mon ennemi et vous êtes vous-même votre propre ennemi. Croyez moi quand je vous dis que j’ai un esprit combatif et du courage, c’est juste qu’aujourd’hui, ils sont en vacances pour mieux rebondir. Je suis un lycan : le jour dans la normalité, la nuit dans la terreur. Désolé de vous miner le moral, cette histoire ne sert qu’à me donner un remède vers ma propre rédemption.
Mon cœur, lui, a toujours été différent, à la limite de la sociopathie. Je ne ressens pas les mêmes douleurs, pas la même tristesse. Cette différence donne l’incompréhension de mon âme. J’ai toujours été détaché, en retrait de mes propres rêves, désirs, pensées. Tout ce temps, j’ai été spectateur d’une vie qui n’était pas la mienne. Je me tiraille l’esprit, mes idées s’entrechoquent, et ma volonté faiblit.
Je dois me relever, mais je chute encore et encore. Cela me rappelle un événement anecdotique il y a quelques années aux Contamines. Nous étions partis skier un week-end. N’ayant jamais appris à skier, j’avais au moins appris à faire du snowboard en classe de neige pendant deux semaines, bien plus jeune. Cette journée restera gravée pour moi à vie, une journée où tout le monde s’amusait et prenait du bon temps, moi tombant une fois, dix fois, cent fois, toujours là à me relever, à supporter les rires des uns et des autres, les taquineries, légitimes. Je n’en veux à personne pour cela. Au final, je me suis blessé en voulant suivre mes camarades, et je suis tombé pour la dernière fois, blessé au milieu du monde. Le sentiment de la défaite m’avait envahi, et les mois suivants, toujours blessé, j’ai mené un premier vrai combat, mon premier revers émotionnel. Sur cette montagne, je ne me suis pas seulement blessé à la jambe, j’ai aussi ouvert une blessure qui, elle, à l’inverse de ma blessure physique, n’a pas réellement guéri.

Pour l’analogie, mon expérience en snow représente le moi que je n’ai jamais appris à connaître, la montagne, quant à elle, représente ce que je pensais être, la chute et la blessure, la réalité…
J’ai le cœur brisé, pas par l’amour, mais par ma vie, celle que j’ai menée tout ce temps avec tellement d’ardeur, de conviction et de passion, pour révéler aujourd’hui la supercherie.
Ceux qui pensent me connaître, oubliez ce que vous savez sur moi, cette personne n’était qu’un déguisement, une façade.
Nous devons apprendre à nous accepter, à nous aimer, mais comment je peux aimer quelqu’un qui n’est pas moi, qui se ment à lui-même depuis toujours ? Je suis un inconnu dans mon propre corps, mon propre cauchemar.
Mon attachement à ce monde est aussi réel que l’univers de Tolkien. Je ne peux détester les autres, c’est bien plus facile de se détester soi-même.
J’aimerais m’arracher ce cerveau, cette pensée qui m’assaille, j’ai besoin de m’arracher à ce corps.
Ma dépression actuelle n’est pas la première, mais je veux que ça soit la dernière. Mon combat est épuisant, pas seulement pour moi mais pour mon entourage aussi. En plus de souffrir, je fais souffrir les gens que j’aime, et je sais que je dois être plus fort, mais sincèrement, j’ai besoin de me libérer, j’ai besoin de changer. Je ne cherche pas à ce que l’on me comprenne, je veux simplement me comprendre moi-même. Je ne veux pas être aimé ou apprécié, je veux m’aimer moi-même, et cette route que j’ai empruntée me ramène directement dans cette pièce au fond de la cave sombre et oubliée, mais ce n’est pas une simple pièce, c’est mon véritable univers, celui que j’ai créé toute cette vie, dans l’ombre de mon esprit.

J’apprends à l’explorer et à le découvrir, dans le noir le plus total avec comme seule lumière ELLE. Je vous parlerais un jour d’ELLE, mais sachez qu’ELLE est la seule chose qui me rattache réellement à ce monde, et ma plus grande peur, au-delà de moi, c’est de lui causer du tort.
Comprenez que mon plus grand tiraillement est l’amour inconditionnel que j’éprouve pour ELLE, qui a décidé d’être cette lumière dans mon univers. J’ai peur, je ne suis sûr de rien, ma confiance en moi faiblit de jour en jour. Partir à la découverte de son être intérieur est périlleux, une sorte de folie s’empare de moi, tel un explorateur, je m’enfonce dans les tréfonds de mon esprit.
Et j’en ai raté des choses. Plus j’explore cet univers inconnu de tout être vivant, plus mes sentiments se font et se défont. Je retrouve de belles choses, mais je découvre aussi beaucoup de tristesse. Cela demande à mon cerveau de compartimenter pour ne pas sombrer dans la folie. Je ne comprends pas comment j’ai pu me tromper pendant toutes ces années, et découvrir après 30 ans passés, le véritable moi. Donc je m’adapte, j’apprends à me connaître, cette fois-ci réellement, mais j’ai toujours aussi mal. Je suis heureux de découvrir cet inconnu, mais c’est douloureux de se dire que cet inconnu que je considérais comme un monstre pendant tant d’années, n’est autre que le jeune garçon que j’avais moi-même enfermé, séquestré et tué. Je me suis saboté, sabordé tout seul. Retrouver ce garçon qui était seul dans cet univers sans aide, sans lumière, sans personne pour l’épauler, je dois aujourd’hui l’aider. Ce monstre dont je vous avais parlé au début de cette histoire avait pris la place de ce garçon dans le noir. Je suis ce monstre et cet enfant à la fois, simplement que l’un a pris ma part d’ombre et l’autre ma part de lumière. Hélas, il y a eu erreur sur le protagoniste et l’antagoniste de cette histoire : l’usurpateur, malintentionné, menteur, manipulateur était dans la lumière.
Aujourd’hui, je dois vivre avec, vivre avec la honte d’avoir enfermé cet enfant plein de rêves et d’avenir. Mais n’oubliez pas, on ne naît pas monstre, on le devient !

Maintenant, je dois m’occuper de ce garçon chétif, mal nourri, traumatisé et au regard vide. Je ne le connais pas, je me rappelle seulement de quelques fragments de ce jeune garçon, et pourtant j’ai de l’affection pour lui. J’ai un combat à mener, mais plus j’avance dans le noir, plus je découvre sa vie passée dans cet univers obscur et quelle douleur ! Tout ce que j’ai caché au plus profond de moi et pourtant si prometteur et beau, ce gâchis que je dois reconstruire.
Alors oui, je suis en dépression, oui, je ne suis pas de bonne compagnie actuellement. Désolé, c’est juste que je suis parti en voyage pour sonder mon esprit, aider ceux que je n’ai pu aider. Alors oui, ça risque d’être long, 34 ans de vie à rattraper, à panser les blessures non soignées. Je vous assure que je mets toutes mes forces dans cette bataille, et je sais que cela est dur à accepter. Je suis perdu dans mon monde, mais comprenez que je dois me sauver, me sortir de là, et la seule façon de le faire est de souffrir, guérir et révéler cet univers trop longtemps enfoui.
J’ai l’espoir de revenir de cette aventure avec une vision plus belle que par le passé. Cela va être douloureux, mais oubliez qui je suis aujourd’hui, je pars et laisse une coquille vide, car cette chose n’est pas moi, elle m’a causé trop de tort, trop de tristesse. J’ai besoin de me sauver et de sortir de cette enveloppe. Le monstre est dans la lumière, n’oubliez pas. Osez découvrir votre noirceur, les révélations seront terribles, mais peut-être que vous trouverez alors ce trésor, celui d’être soi-même. Nous avons tous un petit garçon et une petite fille en nous, cachés au fond de nous. Pour ma part, j’ai simplement mis 34 ans à le trouver. À vous de découvrir le/la vôtre.
Merci de m’avoir lu.
